Chapitre 4 - Le monde infini (Giordano Bruno)

L'oeuvre de Copernic passera assez longtemps presque inaperçue et il faudra attendre jusqu'en 1584 pour que quelqu'un d'autre clame haut et fort que la Terre tourne autour du Soleil. Il s'agit du philosophe italien Giordano Bruno, né en 1548. Il commence par faire des études de littérature classique et de philosophie puis entre au couvent dominicain de Naples. En 1572, il passe son doctorat en théologie mais ne peut pas en profiter très longtemps: quatre mois plus tard, il doit quitter l'ordre suite à deux procès. Il gagne sa vie en enseignant, d'abord au collège de Cambrai à Paris puis à la Sorbonne. Plus tard, il voyage en Grande-Bretagne puis en Allemagne avant d'être livré à l'inquisition en mai 1592 lors d'un passage à Venise. Il passe huit ans dans les prisons, subissant d'interminables interrogatoires et séances de torture avant d'être condamné à mort en février 1600 pour hérésie. Le 17 février 1600, il est brûlé vif à Rome.

L'oeuvre de Bruno n'a longtemps pas été reconnue. Il est vrai que le fait d'avoir été brûlé vif sur la place publique n'a pas facilité la diffusion de ces idées. C'est à la fin XVIIIème siècle qu'elle suscitera l'intérêt des philosophes. Giordano Bruno a beaucoup parlé de l'infini et ce qui va nous intéresser est sa thèse de l'univers infini. Pour ce philosophe, il n'y a pas de limite à la création de Dieu. La sphère des fixes n'est qu'un horizon apparent de l'univers, une illusion due à la rotation de la Terre sur elle-même. Et du fait que le firmament ne bouge plus, les étoiles n'ont plus aucune raison d'être équidistantes de la Terre. Déjà là, la position centrale de la Terre est affaiblie. Mais l'idée de Bruno va bien plus loin: dans un univers infini, il n'y a plus de centre ni de limite. La notion même de centre perd sa signification. Un autre point qui a profondément déplu à l'Eglise: Bruno parle de "pluralité des mondes". Il n'exclut donc pas qu'il pourrait y avoir ailleurs dans son univers infini un monde comme le nôtre et qui sait, peut-être des habitants. Pour se défendre durant son long procès, Giordano Bruno a dû trouver des arguments pour justifier sa théorie. En premier, il affirme que l'observation par les sens doit être soumise à l'intelligence. Il cite par exemple le fait que l'horizon n'est pas le même si on se trouve au niveau de la mer ou sur une colline voisine. Il n'y aurait donc pas d'horizon absolu mais seulement un horizon relatif au point d'observation. De la même manière, les étoiles qui semblent toutes accrochées à la sphère des fixes, à cette limite de l'observation, ne représentent que l'horizon relatif de la Terre. De ce point de vue, on peut dire que Giordano Bruno a plusieurs siècles d'avance sur ses contemporains, cette affirmation étant encore reconnue pour vrai au XXIème siècle. Comme ses adversaires ne se laissent pas convaincre par cet argument, il en trouve deux autres. Tout d'abord, il affirme que vouloir décréter que l'univers est fini et que le firmament en est sa limite ultime est une absurdité. En effet, si l'univers est fini, on peut supposer qu'il y a quelque chose derrière, idée qui entre en contradiction avec l'affirmation que le firmament est une limite ultime et absolue. Il ne peut pas à la fois avoir une limite ultime et quelque chose derrière. Le deuxième argument est plus théologique. Bruno affirme qu'un Dieu infini et infiniment bon n'a pu créer qu'un univers à sa mesure, donc un univers infini. Le philosophe croit donc que « Dieu est infini dans l'infini partout en toute chose, ni au-dessus ni à l'extérieur mais totalement intime à toute choses.» (Encyclopédie Universalis, Volume 4, p. 582) Giordano Bruno tente ainsi de se justifier devant l'inquisition, avec le peu de succès que l'on sait.

Ce philosophe est certes beaucoup moins connu que Copernic, mais il a encore plus essayé de changer la place de la Terre que l'homme dont il se dit un disciple. Copernic a déplacé le centre de l'univers du centre de la Terre au centre du Soleil, Bruno l'a tout simplement supprimé. Il a eu cette audace car il ne s'est pas préoccupé de ce que la foi ordonne lorsqu'il a écrit ses livres de philosophie. Malheureusement, il était trop en avance sur ses contemporains et ceux-ci l'ont envoyé au bûcher pour faire taire ses idées qui n'allaient pas dans le sens du courant de l'époque.

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