Chapitre 3 - Une planète parmi d'autres (Nicolas Copernic)

Avec l'effondrement de l'empire romain d'occident, c'est toute l'Europe qui sombre dans un profond coma culturel. En effet, après l'invasion des barbares, il ne reste pratiquement rien de la splendeur des civilisations grecques puis romaines. La science prend également un sérieux coup, l'idée même de la sphéricité de la Terre est devenue une aberration. Il faudra attendre le XIème siècle pour que cette idée soit à nouveau reconnue parmi les érudits. Mais nous sommes encore très loin de notre conception du XXIème siècle, la Terre est encore solidement posée au centre de l'univers aussi immobile qu'une montagne. Au cours des derniers siècles du moyen-âge, il y a bien quelques voix qui s'élèvent pour déclarer que la Terre bouge, on pense notamment à un certain Buridan ou à Nicole d'Oresme, mais personne n'ose élaborer un système global de l'univers incluant cette idée.

Il faudra attendre le XVIème siècle et Nicolas Copernic pour qu'enfin quelqu'un ose remettre en cause d'une manière aussi fondamentale l'Almageste de Claude Ptolémée. Mais attachons-nous un peu à la vie de ce grand nom de l'histoire des sciences. Nicolas Copernic naît en 1473 à Torun dans l'actuelle Pologne. Orphelin à l'âge de dix ans, c'est chez son oncle l'évêque Lukas Watzelrode qu'il va grandir.

A l'âge de dix-huit ans, le jeune Copernic entre à l'université de Cracovie où il étudiera les sciences de l'univers. Plus tard, il étudiera également le droit canon, la philosophie, la médecine et le grec. Ce ne sont pas les diplômes qui le préoccupent. D'ailleurs, il n'en passera qu'un seul: celui de droit canon à l'université de Ferrare. Ce qu'il recherche, c'est la connaissance de tout le savoir de son époque. Il est donc atteint d'une véritable "boulimie intellectuelle" qu'il ne satisfera qu'en quinze ans d'études. Bref, Nicolas Copernic est l'exemple type des brillants esprits polyvalents de la Renaissance. A 33 ans, alors qu'il juge qu'il a suffisamment appris, il s'établit en tant que médecin au côté de son oncle, évêque au château de Heilsberg. Il aura même un certain succès car plusieurs notables du diocèse l'appelleront à leur chevet. En fait, de son vivant Copernic est beaucoup plus connu en tant que médecin qu'en tant qu'astronome.

Quatre ans plus tard, il s'installe à Frauenburg où son oncle lui a fait réserver une charge de chanoine. C'est une charge religieuse bien rémunérée qui lui assurera l'indépendance financière pour le restant de sa vie. A peine arrivé, on lui confie toute la correspondance officielle du chapitre. En 1516, il en devient même l'administrateur. Cette tâche n'est pas de tout repos car il doit gérer l'institution durant cette période où les chevaliers teutoniques pillent sans cesse la région.

Ce n'est que plus tard que ce brillant esprit reviendra à l'astronomie, et il le fera avec brio. En fait, il révolutionnera toute la conception scientifique de son époque. Copernic a lu à peu près tous les textes antiques qui ont été retrouvés à son époque et il connaît la théorie d'Aristarque de Samos. Il reprend celle-ci et la développe pour en faire le corps de son oeuvre. En se fondant sur cette théorie héliocentrique, il écrit sept axiomes qui ébranlent les connaissances de ses contemporains comme autant de coups de butoirs:

« 1. Toutes les sphères célestes ne tournent pas autour d'un même centre.

2. Le centre de la Terre n'est pas celui de l'univers, mais seulement celui de l'orbite de la Lune.

3. Toutes les planètes tournent autour du Soleil qui est par conséquent le centre de l'univers.

4. La distance des étoiles fixes est si immense que par comparaison celle de la Terre au Soleil est négligeable.

5. Les mouvements qui apparaissent dans le firmament ne viennent pas du firmament lui-même mais de la Terre qui chaque jour tourne autour de son axe.

6. Ce qui apparaît comme le mouvement du Soleil n'est en fait que le mouvement de la Terre qui comme les autres planètes tourne autour du Soleil.

7. Les mouvements rétrogrades en apparence des planètes ne sont dus qu'au mouvement de la Terre, qui suffit à expliquer tous les mouvements irréguliers des cieux. » (L'Homme et le cosmos, p. 46)

Système de Copernic Dans le système copernicien, il y a donc le Soleil au centre et dans l'ordre en s'éloignant: Mercure, Vénus, la Terre et la Lune, Mars, Jupiter, Saturne et enfin le firmament.

Malheureusement, Copernic sera obligé de garder dans son système une autre grande plaie de l'astronomie antique: les épicycles et déférents. Cela s'explique par le fait que Copernic croit dur comme fer que toutes les orbites sont parfaitement circulaires et que le mouvement des planètes est uniforme. Sur ce point, il se fie aveuglément aux enseignement des anciens et il a tort, comme Kepler le montrera plus tard. Mais on ne peut guère lui en vouloir, car dans le contexte de l'époque il a déjà pris énormément de libertés par rapport aux textes antiques.

Son système a néanmoins l'immense avantage d'expliquer simplement la trajectoire compliquée de la planète Mars et plus généralement des planètes extérieures à la Terre du système solaire. Si on observe attentivement la planète Mars, on constate qu'elle ne se déplace pas du tout régulièrement sur le fond du ciel étoilé. En fait, elle semble même s'arrêter par moments, voire même reculer pendant une période de deux mois pour ensuite à nouveau changer de sens. Ce mouvement s'explique tout simplement si l'on considère que les deux planètes tournent autour du Soleil avec des périodes de révolution différentes.

Orbite de Mars

Précession des équinoxes Copernic écrit que la Terre est en mouvement et il n'y va pas par quatre chemins: il lui en donne tout de suite trois. Le premier est le mouvement qui est à l'origine de l'alternance du jour et de la nuit. Le second est le mouvement de révolution autour du Soleil en une année et le troisième est appelé mouvement de déclination ou précession des équinoxes. C'est le très lent mouvement de l'axe de rotation qui se déplace comme l'axe d'une toupie. On sait aujourd'hui que cet axe accomplit sa rotation en à peu près 26'000 ans. Copernic n'a pas découvert ce mouvement, le grec Hipparque l'a fait bien avant lui, mais il l'a parfaitement intégré dans son système.

Le savant polonais est prudent et ne veut pas publier tout de suite sa doctrine. Il sait qu'elle est contraire à la théorie officielle et il ne tient pas à avoir des ennuis. Il accepte néanmoins de faire connaître sa position à un nombre restreint de lecteurs et écrit le Commentariolus, un résumé de sa grande théorie qui restera sous forme de copies manuscrites. A la lecture de ce "hors d'oeuvre", ses amis et les savants de son entourage le poussent à publier son oeuvre en totalité, c'est-à-dire son livre appelé De revolutionibus orbium coelestium. Même l'Eglise, en la personne du cardinal Schoenberg, l'encourage à publier son livre. Ce fait est intéressant car cela montre que l'Eglise n'a pas toujours été aussi opposée à l'héliocentrisme qu'elle le sera plus tard.

Il faudra que Joachim von Lauchen, dit Rheticus, entre en jeu pour que Nicolas Copernic accepte enfin de faire imprimer l'oeuvre de sa vie. Rheticus est un jeune savant sans envergure particulière mais avec un enthousiasme débordant. Il deviendra le disciple du chanoine et lui tiendra compagnie à Frauenburg. Au bout de deux ans de persuasion et d'encouragements, le maître accepte enfin de faire publier son livre. Comme beaucoup de temps a passé, Rheticus est rappelé par ses obligations de professeur à l'université de Wittenberg et doit déléguer la supervision de l'impression à son ami Andreas Osiander, un théologien luthérien convaincu. Ce dernier connaît bien le monde savant de l'époque et perçoit tout de suite le danger que représente la publication de la doctrine copernicienne. Il propose de présenter la théorie comme un simple moyen de calcul mais Copernic refuse fermement. Voyant que le chanoine faiblit de jour en jour, Osiander décide finalement d'ajouter une préface qui trahit totalement l'intention de l'auteur en affirmant que le contenu du livre n'a pas besoin d'être vrai, mais qu'il contient juste des calculs conformes à l'observation. Heureusement pour Copernic, il est probable qu'il n'a jamais appris cette trahison car c'est sur son lit de mort qu'on lui apporte le premier exemplaire du De revolutionibus orbium coelestium, l'oeuvre de toute sa vie. Nicolas Copernic s'éteint le 24 mai 1543 alors qu'il était depuis longtemps paralysé du côté droit et qu'il avait semble-t-il déjà perdu la mémoire.

Une des questions qui passionnaient les savants de l'époque était de savoir si l'univers est fini ou infini. L'Eglise disait clairement qu'il est fini. Copernic, prudent, dira que l'univers est gigantesque, et semble être infini mais ne tranchera jamais pour l'une ou l'autre des conceptions. Mis à part ces questions d'infini et d'orbites circulaires, il aura pratiquement tout découvert de ce qu'on pouvait observer avec les moyens de l'époque, faisant d'un coup de la Terre une petite planète parmi toutes les autres.

Malheureusement pour lui, il n'a pas plus de preuves de l'héliocentrisme que son prédécesseur Aristarque de Samos. Ses principaux arguments restent l'esthétique et la simplicité. Dans son livre, Copernic écrit: « Et au milieu de tous repose le Soleil. En effet, dans ce temple splendide, qui donc poserait ce luminaire en un lieu autre, ou meilleur, que celui d'où il peut éclairer tout à la fois ? Or, en vérité, ce n'est pas improprement que certains l'ont appelé la Prunelle du monde, d'autres Esprit du monde, d'autres enfin son Recteur. Trismégiste l'appelle Dieu visible, l'Électre de Sophocle l'Omnivoyant. C'est ainsi, en effet que le Soleil, comme reposant sur le trône royal, gouverne la famille des astres qui l'entoure. » (L'Homme et le cosmos, p. 47)

Copernic a fait un pas de géant dans l'histoire des sciences, un pas trop grand pour certains qui ne se privent pas de le railler, un pas trop petit pour les scientifiques que nous allons rencontrer plus tard.

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