Chapitre 5 - Un compromis intéressant (Tycho Brahe)

En 1546 naît un autre grand nom de l'astronomie et de la cosmologie. Il s'agit de l'astronome danois Tycho Brahe. Son enfance n'est pas la plus malheureuse: son père appartient à la haute noblesse danoise et sa vie matérielle est bien assurée. Tout comme Copernic, c'est son oncle qui l'élèvera. Celui-ci est amiral et connaîtra une mort glorieuse en se jetant à l'eau pour sauver la vie de son roi, Frédéric II du Danemark. C'est à l'âge de quatorze ans que le jeune Tycho s'intéresse à l'astronomie. La passion est déclenchée pour une éclipse solaire. En réalité, ce n'est pas tant l'éclipse mais le fait qu'on ait pu la prévoir qui le fascine. Mais sa famille n'apprécie pas trop que Tycho se rapproche d'une carrière de savant. A l'époque, ce n'était pas très bien vu pour un gentilhomme. Le jeune Tycho, étant du genre à ne pas trop se soucier du qu'en dira-t-on, continue allègrement de se passionner pour les étoiles. Il commencera néanmoins des études de droit à Leipzig. Il y sera le type même de l'étudiant fortuné, franc buveur et querelleur. A 19 ans, se jugeant insulté par un camarade se prétendant meilleur en mathématiques que lui, il provoque un duel au cours duquel il perdra une partie de son nez. Cette petite "plaisanterie" lui vaudra une prothèse nasale en or et argent durant le reste de sa vie. A l'âge de 25 ans, il rêve encore de littérature et écrit quelques textes en latin. Mais à partir de ce moment, il se consacrera entièrement à ses observations astronomiques.

La grande force de Tycho Brahe n'est pas tant son génie, bien qu'il n'en soit absolument pas dépourvu, mais sa continuité, son acharnement et son obsession de la précision. C'est grâce à ses qualités qu'il exploitera au mieux l'étrange observation qu'il fera le 11 novembre 1572, à tout juste 26 ans. Cette nuit là, il voit une étoile qu'il n'a jamais remarquée jusqu'à ce moment. Et comme il observait attentivement et constamment le ciel, il est sûr que cette étoile est nouvelle. Ayant de bonnes connaissances en astronomie, il réalise tout de suite ce que cette découverte signifie: ce sont toutes les théories de Platon, d'Aristote et surtout de Ptolémée qui sont remises en cause. En effet, depuis les anciens grecs, il est admis dans la communauté scientifique de toute l'Europe que la sphère des fixes, ou firmament, est immuable, que la perfection divine n'a donc pas à changer. Et en 1572, un jeune astronome de 26 ans est sur le point de prouver le contraire. Aujourd'hui on sait que c'est une explosion d'étoile, aussi appelée nova, que le Danois a observé.

Tycho Brahe ne finira jamais de donner des coups de pioche dans l'édifice de Ptolémée. Le suivant sera porté en 1577, alors qu'il s'intéresse au passage d'une comète. Tycho se souvient qu'Aristote a affirmé que les comètes, phénomènes célestes irréguliers par excellence et donc non-parfaits, passaient près de la Terre, mais en tout cas pas plus loin que la Lune. En observant minutieusement, le jeune astronome danois remarque que la comète évolue bien plus loin que la Lune, et même au-delà de Vénus. Non seulement cela contredit Aristote, ce qui constitue déjà presque un crime à l'époque, mais Tycho en rajoute une couche en déclarant que cette comète coupe les orbites de plusieurs planètes. Cela n'était pas possible pour les Grecs car les planètes étaient censées être accrochées à des sphères de cristal solide, les orbes. Il était donc impossible qu'un quelconque corps solide les traverse. Tycho Brahe vient de prouver le contraire. Une fois de plus, la théorie d'Aristote et de Ptolémée est infirmée.

En peu de temps, Tycho Brahe devient célèbre et le roi du Danemark Frédéric II va même jusqu'à lui offrir l'île de Hveen, un territoire de 5 km de long. Sur son nouveau domaine, l'astronome fait construire un château devenu célèbre par son aspect extérieur qui défiait toutes les imaginations de l'époque, le maître des lieux n'ayant reculé devant aucune fantaisie. Tycho s'y sentira à l'aise et y développera de nombreux instruments astronomiques. Ils ne sont pas révolutionnaires dans leur principe de fonctionnement mais par leur gigantisme. L'astronome étant féru de précision, il agrandit à une taille inimaginable à peu près tous les instruments optiques de l'époque qui se laissent agrandir pour obtenir toujours plus d'exactitude. Avec ses instruments qui sont sans conteste les plus puissants d'Europe à l'époque, l'astronome décide de vérifier l'exactitude de toutes les tables astronomiques. Il étudie notamment les célèbres tables Alphonsines dressées en 1252 sur l'ordre du roi de Castille Alphonse X et utilisées au XVIème siècle par à peu près tous les navigateurs. Voyant qu'elles contiennent beaucoup trop d'erreurs, Tycho Brahe décide purement et simplement d'en créer des nouvelles. Alors que Copernic pensait qu'une approximation de quelques minutes d'arc était acceptable, Tycho Brahe pense en secondes d'arc. Nuit après nuit, lorsque le temps le permet, il scrute le ciel et note avec précision ses observations. Durant les années passées à Hveen, il localisera ainsi près de 1000 étoiles avec une erreur de l'ordre de la minute d'arc seulement. Son grand mérite aura été de ne pas faire aveuglément confiance au passé et d'avoir voulu tout remesurer par soi-même.

Malheureusement, toutes les bonnes choses ont une fin. L'astronome ayant agi comme un tyran avec les paysans de son île, le roi du Danemark finit par lui couper les vivres. Celui-ci, blessé dans sa fierté, décide de quitter l'île avec tout son entourage. Après deux ans d'errances de château en château, il finira par obtenir le poste de mathematicus de l'empereur Rodolphe II de Prague. Il y recevra une bonne pension mais insuffisante à sa folie des grandeurs, l'empereur étant resté très strict avec sa politique budgétaire.

Système de Tycho Brahe C'est durant les années passées à Prague que Tycho Brahe met au point une conception du monde aussi audacieuse et révolutionnaire que nouvelle, et tout cela sans froisser l'Eglise. Il réalise cela en concevant un système qui paraît aujourd'hui saugrenu, mais qui était tout à fait acceptable à l'époque. Il affirme que les planètes tournent autour du Soleil et que ce dernier ainsi que la Lune tournent autour de la Terre. Cela a l'énorme mérite de concilier les avantages des systèmes de Copernic et de Ptolémée et de rassembler leurs partisans respectifs. La Terre reste donc le centre du monde mais le système incorpore nombre des avantages apportés par Copernic. On peut se demander aujourd'hui comment une telle construction a pu être admise, mais il faut se rendre à l'évidence que du strict point de vue de l'observation, le système est plausible. En effet, si l'on n'applique pas les lois de la gravité de Newton, il est impossible par l'observation pure de déterminer quel corps bouge autour de l'autre, du fait qu'il n'y a aucun repère fiable extérieur au système. La meilleure illustration de ce phénomène est de regarder un train partir alors qu'on est assis dans un train immobile sur une autre voie. On est obligé de regarder un point de repère fixe, la gare, pour vérifier lequel des deux trains est en mouvement.

Il est intéressant de noter que Tycho Brahe ne conçoit pas un tel système parce qu'il a une conviction religieuse de l'immobilité de la Terre, mais bien pour des raisons scientifiques. En effet, il procède de la même façon que le voyageur de l'exemple ci-dessus: il se met à la recherche d'un point de repère fiable et croit en trouver un en regardant les étoiles. Ne voyant aucun mouvement par rapport au firmament, il se convainc que la Terre ne bouge pas. L'erreur dans son raisonnement réside dans le fait que les étoiles ne sont pas un point de repère fiable. En effet, bien que ce soit la Terre qui soit en mouvement autour du Soleil, il est impossible de mesurer ce déplacement en se fiant aux étoiles avec les instruments de l'époque, même avec ceux très perfectionnés de Tycho Brahe.

Comme son système est fidèle aux observations et ménage également les convictions, il est vite adopté par la communauté savante. A sa mort en 1601, Tycho Brahe laisse la Terre à une place ambiguë entre les convictions du passé et les révolutions futures. Il ne se doute pas que la vérité est enfouie quelque part dans ses innombrables observations. En fait, ce qui manque à cet observateur acharné, c'est un théoricien de génie capable d'exploiter la masse inouïe de ses mesures. Cette perle rare, il la rencontrera au crépuscule de sa vie, le 4 février 1600. Cet homme s'appelle Johannes Kepler.

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