Chapitre 7 - Les preuves de l'héliocentrisme (Galilée)

Un autre grand esprit de l'astronomie, d'ailleurs contemporain de Kepler, est l'incontournable Galilée. Il naît à Pise le 15 février 1564, d'un père musicien et musicologue reconnu. C'est dans cette ville qu'il vit ces premières années. A l'adolescence, son père a encore l'ambition de faire de lui un médecin mais il devra vite abandonner cette idée car son fils a découvert la passion des mathématiques. En fait, c'est Ostilio Ricci, un ami de la famille qui l'a mis sur cette voie. Galilée commence donc des études de mathématiques. Il faut croire qu'il est doué car en 1589, à l'âge de 25 ans déjà, il est recommandé pour le poste de lecteur de mathématiques à l'université de Pise. Mais le poste est mal payé, 60 écus florentins, ce qui même pour l'époque est peu si l'on sait que le professeur de médecine de la même université en gagne 2000. C'est pourquoi il n'hésitera pas longtemps lorsqu'on lui propose trois ans plus tard un poste à l'université de Padoue, dans la république de Venise. Son salaire ne lui suffira toujours pas et pour pouvoir entretenir sa famille, il sera obligé de donner des cours privés et d'héberger de riches étudiants dans sa demeure. Galilée passe presque deux décennies entières à Padoue où il enseigne les mathématiques, l'architecture militaire et la mécanique. Il n'est alors qu'un modeste professeur parmi d'autres, rien ne laisse présager le formidable destin qui l'attend.

C'est en 1609 que la vie de Galilée bascule. Plus précisément, c'est au moment où il apprend que les Hollandais possèdent un étrange instrument en forme de tube avec deux lentilles, l'une convexe et l'autre concave. Vous aurez reconnu la fameuse lunette. Contrairement à la légende, Galilée ne l'a pas inventée, mais il l'a énormément améliorée. En réalité, la lunette hollandaise avait des lentilles de piètre qualité. L'image était floue et déformée et le grossissement n'excédait pas sept fois. Galilée va améliorer les lentilles, les positionner plus précisément et obtenir une lunette renvoyant une image nette avec un grossissement de 30 fois. C'est cette lunette améliorée qu'il présente le 21 août 1609 aux autorités de Venise. L'effet est colossal, les gens enchantés et Galilée enfin reconnu en tant que grand savant et non plus en tant que simple professeur. Avec sa nouvelle notoriété, Galilée réussit à se trouver un bon protecteur: le grand-duc de Toscane, dont il deviendra le mathématicien.

Le bouleversement définitif de la vie de Galilée aura lieu une nuit de janvier 1610. Le savant italien pointe pour la première fois son instrument sur les étoiles. Et ce qu'il a dû ressentir est à peine concevable. Imaginez le sentiment de cet homme qui découvre d'un coup des centaines et des centaines de nouvelles étoiles. Il en découvrira d'ailleurs tellement qu'il renoncera à les compter. Il passera des nuits entières à observer le ciel tel un enfant qui a reçu un nouveau jouet. Il s'aperçoit que la Voie lactée qui apparaît à l'oeil nu comme une traînée blanche est en réalité une nuée d'étoiles individuelles. Mais il fait une découverte encore plus sensationnelle le 7 février. En pointant Jupiter avec sa lunette, il découvre trois petits points lumineux alignés de part et d'autre de la planète. La nuit suivante, il en voit également trois, mais alignés différemment. En observant nuit après nuit la danse de ces points lumineux, il en vient à la conclusion que se sont des corps célestes qui tournent autour de Jupiter à la manière de la Lune qui tourne autour de la Terre. Une autre découverte majeure est celle des phases de Vénus. Observé à la lunette, l'aspect de la planète change nettement au cours du temps. Elle présente des phases croissantes et décroissantes exactement comme la Lune.

Galilée tient enfin ce qu'il cherchait depuis longtemps. En effet, cela faisait un certain nombre d'années qu'il avait secrètement adopté la doctrine copernicienne. Mais n'ayant pas plus d'argument que le chanoine polonais, il a préféré garder ses convictions pour lui. Il a même continué d'enseigner le système de Ptolémée à l'université alors qu'il le considérait intimement comme erroné. Mais le savant venais de découvrir deux éléments clés qui lui permettraient de démontrer le système de Copernic. Les phases de Vénus prouvent que cette planète tourne autour du Soleil et non autour de la Terre. Et les lunes de Jupiter prouvent elles aussi que la Terre n'est pas le centre de l'univers, que tout ne tourne pas autour d'elle. C'est autant pour annoncer ces découvertes que pour démontrer le système de Copernic que Galilée publie le Sidereus Nuncius. Il profite de l'occasion pour s'attirer les bonnes faveurs du grand-duc Cosme II de Médicis en nommant les quatre lunes qu'il a découvertes les "planètes médicéennes". L'effet recherché est largement atteint: le grand-duc de Toscane le nomme premier mathématicien de l'université de Pise et lui offre une rente de 1000 écus florentins. De plus, Galilée est maintenant assuré d'un protecteur puissant. Mais la parution de ce livre lui apportera encore beaucoup plus: le grand Johannes Kepler, déjà bien connu en 1610, lui offre son soutient inconditionnel. Galilée, ravi de cette aide inattendue, accepte le soutien mais ne lui envoie même pas un exemplaire de sa lunette. Si bien que la relation entre les deux hommes cessera brusquement quelques mois plus tard.

Galilée ne s'arrête pas en si bon chemin. Il observe également notre lune et y découvre quelque chose d'impensable pour son époque: il y a des montagnes à la surface de notre satellite naturel! Selon Aristote, notre Lune était un corps parfait tout comme le reste du cosmos, il est donc impossible qu'elle ait des aspérités à sa surface. Et pourtant, c'est bien ce que Galilée observe: des montagnes, cratères, des gouffres, etc. A l'aide des ombres de ces sommets, il se permet même de calculer leur hauteur. Bien entendu, ces affirmations rendent fou de rage les partisans d'Aristote, tenants d'un monde séparé en deux avec d'un côté le monde sublunaire avec son contenu altérable et de l'autre côté le firmament où tout est parfait et invariable. Dire qu'il y a des montagnes à la surface de la Lune revient au même qu'affirmer que cette antique vision est fausse. Les opposants de Galilée ne pouvant pas attaquer le fait qu'on voie des montagnes avec la lunette, ils décident d'attaquer l'instrument en affirmant que l'image est fausse, qu'elle trompe les sens. Ces opposants contestent également le mouvement de la Terre, arguant qu'une pierre lancée verticalement ne tomberait pas au même endroit et qu'on devrait sentir le sol bouger alors que ce n'est pas le cas.

Galilée ne se laisse pas démonter et trouve des contre-arguments. Selon lui, il est normal qu'on ne sente pas la Terre bouger car elle se déplace régulièrement. Un marin se trouvant dans une cabine sans hublot d'un navire en marche ne sent pas de mouvement non plus. De même, lorsqu'on lâche une pierre du sommet d'un mât, elle tombe toujours au pied de celui-ci, quelle que soit la vitesse du bateau, tant que celle-ci est constante. C'est ce qu'on appelle aujourd'hui la loi d'inertie, c'est d'ailleurs Galilée lui-même qui la formulera le premier dans son dernier livre. Quant à l'argument disant que tout s'envolerait, Galilée réplique qu'on ne percevrait rien car la Terre tourne tellement lentement que l'effet est entièrement compensé par l'attirance du sol (qu'on nommera plus tard force de gravité). On peut comparer la Terre a une roue qui tourne tellement lentement qu'elle ne fait qu'une seule rotation en 24 heures. Il est clair que dans ce cas ni la roue ni la Terre n'éjectent quoi que ce soit. Les partisans d'Aristote ont la peau dure et ne se laissent pas convaincre par ce raisonnement, pourtant limpide à nos yeux.

Galilée s'occupe maintenant d'un autre sujet brûlant. Brûlant pour plusieurs raisons: d'abord parce que son objet d'étude est le Soleil et aussi parce qu'il entre en conflit direct avec l'ordre des jésuites. Notre astronome italien ose en effet aborder le sujet des taches solaires. Comme elles sont parfois suffisamment grandes pour être visibles à l'oeil nu, d'autres personnes les ont déjà observées avant lui, dès l'Antiquité même. Avec sa lunette, Galilée observe qu'elles ont des tailles et des formes variables et aussi que leur nombre n'est pas constant. Il soutient également avec toute sa fougue que ces taches sont bien à la surface du Soleil et que ce dernier n'est donc lui non plus pas parfait. C'est là qu'entre en scène le Père Scheiner, un des plus prestigieux savants jésuites. Celui-ci affirme qu'il n'y a pas de taches sur le Soleil, mais qu'il y a d'obscurs objets entre le Soleil et la Terre qui donnent cette impression. Galilée n'est pas d'accord avec lui et comme à son habitude, il se permet de ridiculiser son opposant. L'ennui, c'est que l'adversaire est un membre influent de la Compagnie de Jésus et qu'il ne se laissera pas faire.

Depuis ce moment, Galilée va d'ennuis en ennuis, qui seront de plus en plus grands et menaçants. En 1616, la Sainte Inquisition entre en jeu et examine le cas. Après quelques jours de délibérations, les théologiens décident d'interdire le livre et la doctrine de Copernic et donnent un avertissement solennel à Galilée. Celui-ci est sommé de ne plus jamais parler de Copernic et de sa théorie, le mieux serait qu'il puisse l'oublier. Le savant florentin s'en tire à bon compte, la protection du grand-duc de Toscane a parfaitement joué son rôle. Le scientifique semble avoir compris la leçon, du moins pour l'instant. Car en 1623, le cardinal Maffeo Barberini est élu pape sous le nom d'Urbain VIII. Galilée le connaît bien et sait que le nouveau souverain pontife est un ami des savants. Il reprend espoir et se met à écrire son plus grand livre: le Dialogue sur les deux grands systèmes du monde. C'est vraiment le chef-d'oeuvre de Galilée. Dans un subtil dialogue entre trois personnages, il présente au lecteur le système antique de Ptolémée et le nouveau système copernicien. Deux personnages présentent brillamment tous les arguments en faveur du système copernicien et un tenant d'Aristote essaie vainement d'argumenter en faveur du système antique.

Mais Galilée est allé beaucoup trop loin. Malgré la promesse qu'il a faite en 1616 de ne plus jamais parler de Copernic, il a une fois de plus fait tout son possible pour imposer la nouvelle doctrine et ridiculiser les partisans de l'ancienne. La conséquence ne se fait pas attendre: peu de temps après l'impression du livre, Galilée est convoqué au Saint-Office de Rome. Son procès dure plusieurs mois et le verdict est sans surprise. Le savant florentin est jugé coupable et est condamné à abjurer et renier toute sa doctrine. Devant la puissance de l'Inquisition, un homme faible et vieillissant comme Galilée n'a pas vraiment le choix: il s'exécute à contre-coeur. Il vivra la fin de sa vie isolé, avec pour seule compagnie sa fille Virginia. De plus, sa santé ira de plus en plus mal, il deviendra même aveugle. Et c'est dans cet état qu'il écrira son dernier livre, mais pas le moins important: le Dialogue des sciences nouvelles. Cet ouvrage est entièrement consacré à la dynamique. Il y traite du mouvement des corps, dont le mouvement accéléré encore mal connu, et il y formule aussi la loi d'inertie si importante en mécanique qui sera d'ailleurs un point de départ précieux pour Isaac Newton. Après avoir combattu toute sa vie contre d'innombrables adversaires, le savant florentin meurt le 8 janvier 1642, battu par la maladie.

Galilée est peut-être le premier vrai scientifique. Il a toujours affirmé qu'une preuve doit être apportée par l'expérience et non par la cohérence avec ce qui a été dit auparavant. Avec ce principe, il s'est battu toute sa vie pour que la doctrine copernicienne soit admise. Alors que le chanoine polonais n'avait comme seuls arguments que l'esthétique et la simplicité pour étayer sa théorie, Galilée a trouvé pas moins de quatre nouveaux arguments en faveur de la thèse affirmant que la Terre n'est pas un endroit privilégié de l'univers. Avec les lunes de Jupiter, il a montré que d'autres planètes ont des lunes. Avec les phases de Vénus, il a démontré qu'il y a également du changement dans le reste du cosmos, que la Terre n'est donc pas le seul endroit où il y a changement. Les montagnes lunaires et les taches solaires sont deux autres faits qui prouvent que la Terre n'est pas le seul endroit qui ne soit pas parfait. Galilée a passé sa vie à démontrer que notre planète n'est pas un lieu à part dans l'univers, qu'elle est une planète comme les autres. Et c'est cette idée affolante que notre Terre soit une petite boule perdue dans l'immensité de l'univers qui inquiétait tant les contemporains de Galilée.

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