Chapitre 8 - Un monde soumis à une seule loi (Isaac Newton)

Par une étonnante coïncidence, un autre grand savant naît l'année même du décès de Galilée. Il s'agit d'Isaac Newton qui vient au monde le jour de Noël de l'an 1642 dans le petit village de Woolsthorpe, en Grande-Bretagne. Le petit garçon aurait pu souhaiter mieux comme famille. En effet, son père est mort trois mois avant sa naissance et sa mère lutte pour la survie de la famille avec le peu d'argent qu'elle a. Le malheur semblant s'acharner sur Isaac, sa mère se remarie lorsqu'il a trois ans avec le pasteur du village voisin qui ne veut pas de lui. Il est abandonné à sa grand-mère jusqu'à onze ans, c'est-à-dire la mort de son beau-père et le retour de sa mère. Malgré sa vie familiale loin de l'idéal, le petit Isaac développe des aptitudes au bricolage étonnantes. Il surprend déjà tout son petit village avec ses moulins à eau, ses cerfs-volants et ses cadrans solaires qui aujourd'hui encore indiquent l'heure exacte. Son intérêt pour la science grandit et il emprunte même des livres scientifiques à un de ses voisins. Une des seules fois où la chance a pensé à lui durant son enfance est à l'âge de quinze ans, quand son instituteur perçoit son aptitude de futur génie. Le maître insiste auprès de sa mère pour qu'Isaac Newton puisse aller à l'université. Il faudra que l'instituteur aille jusqu'à proposer d'accueillir l'enfant chez lui pour que la mère accepte. Mais l'essentiel est acquis: Isaac se prépare à rentrer au prestigieux Trinity College de Cambridge.

A 19 ans, le 5 juin 1661, Newton entre dans cette université pour y étudier les mathématiques. Mais le chemin est difficile pour cet étudiant tourmenté, surtout qu'il est constamment aux prises avec ses complexes d'infériorité et de culpabilité. Il se croit inférieur aux autres étudiants, pour l'immense majorité d'entre eux de bonnes familles, et est convaincu qu'il commet constamment des péchés mortels. Il est déprimé et la seule chose qui va le sauver est son intérêt pour la science. D'ailleurs, il faut croire qu'il n'a pas trop mal mené ses études puisqu'il passe ses diplômes jusqu'à devenir professeur de mathématiques à l'âge de 27 ans, soit après seulement huit ans d'études.

Newton fera de nombreuses découvertes passionnantes durant sa longue vie mais la plus importante à nos yeux, il la fait à l'âge de 24 ans, soit avant même d'avoir terminé ses études. Newton est assis sous un pommier lorsqu'il voit une pomme tomber. Au même moment, en levant les yeux, il aperçoit la Lune. C'est à ce moment qu'il a l'intuition géniale qu'il y a probablement une même loi qui gouverne le mouvement de ces deux corps si différents. Il déduit d'après les orbites des planètes que cette force de gravité devrait s'exercer en raison inverse du carré de la distance séparant les planètes du Soleil. Newton vient de s'approcher de la formule définitive aussi prêt que jamais personne ne l'a fait avant lui, mais chose étonnante, il se désintéresse du sujet. Comme s'il n'avait pas compris la portée phénoménale de la loi sur laquelle il vient de mettre le doigt, il décide d'arrêter ses recherches et de s'intéresser aux propriétés de la lumière. Tout comme on ne sait pas exactement pourquoi il a décidé de changer de centre d'intérêt, on ne sait pas non plus quelle est la part de légende dans l'histoire de la pomme. Mais le fait est qu'il s'est intéressé au lien qu'il y avait entre le mouvement de la pomme et celui de la Lune et c'est bien cela qui sera déterminant pour toute la science post-newtonienne.

Comme nous venons de l'apprendre, Isaac Newton s'intéresse aux propriétés de la lumière, en particulier de la lumière solaire. Il utilise des prismes pour séparer la lumière blanche, étudie chacun des composants et réunit ces composants avec un autre prisme pour reformer de la lumière blanche. Bref, il étudie méthodiquement tout ce qu'il parvient à étudier. Bien que les propriétés de la lumière ne concernent pas directement la cosmologie, du moins pas encore (voir chapitre 10), la démarche du savant est intéressante, car elle est révélatrice de sa façon de travailler sur tous les sujets. Newton ne se contente pas d'environs et d'à-peu-près. Lorsqu'il étudie un phénomène, c'est jusqu'au bout et avec précision. On s'étonne d'autant plus qu'il ait abandonné l'étude de la gravité en si bon chemin. Mais nous n'avons pas d'autres choix que d'accepter ce fait et nous demander ce qu'il fera plus tard.

A partir de 1671, Newton sort progressivement de son isolement. Cette année, il invente le télescope qui porte aujourd'hui encore son nom et l'année suivante, il est élu membre à la Royal Society de Londres. A peine une semaine après son élection, il fait déjà parler de lui en annonçant la prochaine publication de sa théorie sur l'optique. Mais en faisant cela, Newton tombe sur un opposant de taille: Robert Hooke. Non seulement ce savant déjà bien établi a une théorie sur la lumière radicalement différente, mais en plus il est président de la Royal Society. Newton ne se laisse pas impressionner pour autant: il répond que seule sa théorie rend compte fidèlement aux observations, qu'il n'y a donc pas d'alternatives possibles. Sans entrer dans la suite du débat, on perçoit là un autre trait de caractère de Newton: son intransigeance et son manque de ménagement envers ses opposants. C'est donc au centre des polémiques que le savant continuera ses multiples recherches.

En cette fin de XVIIème siècle, il reste toujours un épineux problème: on n'a toujours pas trouvé de loi qui gouverne "le grand ballet de l'univers" comme disent les poètes. En 1684, Newton est interrogé sur ce sujet par Edmund Halley, lui aussi un membre de la Royal Society. Il se rappelle alors de sa découverte sur la gravité qu'il a faite 20 ans plus tôt. Mais il décide de tout reprendre au début, de construire depuis la base une théorie solide et fiable sur cet important sujet. L'idée fondamentale reste la même que deux décennies plus tôt: une seule loi gouverne les mouvements de tous les corps de l'univers. En étudiant le sujet dans ses moindres détails pendant dix-sept mois, Newton écrit un ouvrage génial qui a pour titre: Philosophiae naturalis principia mathematica. En fait, c'est un traité posant à la fois les bases de la mécanique terrestre et de la mécanique céleste. Je fais ici la distinction entre deux parties mais bien entendu toutes les lois que Newton énoncera ont une portée universelle. Ce n'est que l'application pratique qui est plus spécifiquement dédiée à un milieu. Revenons un peu en détail sur chacune des parties que nous venons d'aborder. La mécanique terrestre est ce qu'on appelle les trois lois de Newton. La première est la loi d'inertie: un corps persévère dans le mouvement (ou le repos), sur une ligne droite et à vitesse constante, tant qu'aucune force n'agit sur lui. Newton attribue à juste titre cette loi à Galilée, car comme nous l'avons vu dans le chapitre précédent, le savant italien l'avait déjà énoncée. La seconde loi est aujourd'hui appelée loi fondamentale de la dynamique: la force agissant sur un corps est proportionnelle à l'accélération que subit ce même corps. Comme son nom l'indique, cette loi est aujourd'hui une pierre fondamentale sur laquelle est bâtie la physique. La dernière loi est celle d'action et de réaction: lorsqu'un corps agit sur un autre avec une certaine force, cet autre corps réagit avec une force égale mais opposée sur le premier corps. Ce principe n'a jamais été plus actuel qu'aujourd'hui: les avions à réaction l'utilisent constamment pour ne citer qu'un seul exemple. J'ai désigné ces lois par mécanique terrestre car elles s'appliquent constamment sur Terre, mais comme dit précédemment, elles sont valables universellement. Newton ne vit plus au temps où l'on fait une distinction nette entre la Terre et le reste de l'univers, Copernic et Galilée se sont suffisamment battu pour cela.

Intéressons nous maintenant à ce qui a fait passer Newton d'un bon savant à un savant unique: la loi de la gravité universelle. Il l'avait déjà effleurée en 1666, il va maintenant la formuler complètement: « deux corps massifs s'attirent en raison directe de leur masse et en raison inverse du carré de leur distance. » (L'Homme et le cosmos, p. 121) Voilà, en 1687, date de la publication des Principia, la phrase est lancée et la cosmologie a définitivement rompu le dernier lien qui restait depuis l'antique conception du monde d'Aristote et de Ptolémée. Avec cette loi et les connaissances acquises depuis Nicolas Copernic, l'Homme est désormais capable de calculer avec une extrême précision tous les mouvements célestes. En fait, seul un certain Albert Einstein apportera, au début du XXème siècle, quelques modifications à ce prestigieux édifice.

Revenons maintenant à la formulation de cette loi. « Deux corps massifs s'attirent en raison directe de leur masse... » signifie que l'attraction est proportionnelle au produit des masses des deux corps en présence. Quand on considère le produit des masses entre le Soleil et une planète, on comprend pourquoi cette force n'a pas d'effet visible entre deux objets terrestres, le produit de leur masse est infiniment plus petit que celui d'une planète et du Soleil. Affirmer que l'effet n'est pas visible n'est pas rigoureusement exacte. Il faudrait dire que l'effet est négligeable car c'est par cet effet qu'on parviendra plus tard à déterminer avec précision la valeur de la constante qui se trouve dans l'expression mathématique de la loi . La seconde partie de cette loi s'énonce: « ... en raison inverse du carré de leur distance. » Cela signifie que l'intensité de la force d'attraction est proportionnelle à l'inverse du carré de la distance qui sépare les deux corps. Dit plus simplement: si la distance double, l'intensité est divisée par quatre. Newton a formulé sa loi en pensant au système solaire, nous savons aujourd'hui qu'elle est valable jusqu'au plus profond de l'univers. Il reste une chose à observer à ce sujet: Newton a toujours refusé de donner une cause à la gravité universelle. Comme cette cause n'est pas déductible de l'observation, il juge qu'il n'est pas scientifique d'en donner une.

Pour ceux qui en doutaient encore après l'invention du télescope et la publication de son traité d'optique, Isaac Newton deviendra après la publication des Principia le scientifique le plus coté de Grande-Bretagne, si ce n'est d'Europe. Ce n'est donc pas un complet hasard si en 1696 on pense à lui lorsqu'il s'agit de repourvoir le siège de directeur de la Monnaie du royaume. Sa nouvelle fonction consiste à s'occuper de la bonne marche de la frappe des pièces d'or et de coordonner la lutte contre les faussaires. Ses prédécesseurs ne considéraient ce poste que comme un titre honorifique et déléguaient la quasi-totalité de leurs tâches à des hommes de main. Mais Newton, avec toute l'application qu'on lui connaît, ne se le permet pas. Il prend personnellement en main une bonne partie des affaires de falsification, y investissant aussi une bonne dose d'énergie. Le tournant du siècle sera pour le scientifique une période bénie: après sa nomination à la Monnaie, il est élu président de la Royal Society en 1703 après la mort de son adversaire de longue date Robert Hooke, anobli par la reine Anne en 1705 et même élu membre correspondant de l'Académie française des sciences. Bref, il est le premier des cosmologistes que nous avons abordé à avoir réussi à asseoir sa gloire, à se faire apprécier du pouvoir. D'ailleurs, il établira si bien son autorité qu'il régnera en dictateur absolu sur la science pendant les trente dernières années de sa vie. Quel changement radical, quand on pense qu'il n'y a pas si longtemps, c'était l'Eglise catholique qui tenait ce rôle. Isaac Newton passera donc son temps à contrer les rares adversaires qui s'opposeront encore à lui. Comme il n'y a plus personne en Grande Bretagne, le débat s'orientera vers le continent où se trouvent ses deux principaux adversaires: Gottfried Wilhelm Leibniz et René Descartes. Avec Leibniz, c'est au sujet du calcul infinitésimal que porte la dispute. Il semblerait aujourd'hui que les deux savants ont développé simultanément et indépendamment l'un de l'autre les bases de ce qu'on appelle maintenant le calcul différentiel et intégral. Nous n'enterons pas dans le détail de cette dispute qui concerne beaucoup moins la cosmologie que le débat qui oppose Newton à Descartes. Le savant français a en effet développé son propre système du monde. La principale différence avec celui de Newton est l'absence de vide, tout l'univers est rempli de matière subtile qui forme des tourbillons. Et ce sont ces tourbillons qui créent tous les mouvements célestes. Il est évident que cette conception est radicalement opposée à celle du savant anglais et même totalement incompatible, mais elle est suffisamment élaborée et cohérente pour réunir un certain nombre d'adhérents, surtout en France. Il faudra qu'un autre Français se mêle de la dispute pour que la doctrine newtonienne s'impose enfin sur tout le continent. Ce Français n'est autre que Voltaire qui prendra position pour l'Anglais avec toute son autorité. Newton terminera sa longue et fructueuse vie en poursuivant la chasse aux faussaires dans tout le royaume. Il s'éteindra le 20 mars 1727 à l'âge de 85 ans, alors que deux jours auparavant, il semblait encore en parfaite santé.

Avant de conclure ce chapitre, il faut encore préciser une chose: Newton n'a pas tout le temps été ce scientifique génial qui a su mettre tout l'univers dans une équation, ce savant qui ne laisse aucune place à l'irrationnel. Il s'est intéressé à toutes les branches du savoir, pas seulement aux mathématiques, à la chimie et à l'astronomie, mais aussi aux rêves, à l'imagination, à la télépathie et à l'alchimie. Pendant des années, il a consacré du temps et de l'énergie à étudier les métaux, leurs alliages et leur structures dans l'espoir d'obtenir la pierre philosophale et le remède universel capable de soigner n'importe quelle maladie. Le savant s'est intéressé à cette matière jusqu'au jour où il est devenu un personnage public, avec son élection à la Royal Society. Cet épisode de sa vie, de nombreux biographes le passent sous silence, mais il est révélateur d'une chose: l'arbre des connaissances n'est pas qu'un tronc où tout pousse en ligne droite, c'est un arbre avec beaucoup de branches dont seules quelques-unes atteignent le sommet. Et même des scientifiques connus ont emprunté quelques branches latérales.

Pendant que l'on parle de l'irrationalité de Newton, il me paraît important d'aborder le lien qui existe entre Newton et Dieu. Si le savant a toujours refusé de dire pourquoi son système du monde fonctionne, c'est parce qu'il attribue à Dieu la place de moteur de l'univers. C'est Lui qui intervient à chaque instant pour faire fonctionner le ballet des planètes. Sans Dieu, l'univers n'existerait pas. Ce sont les successeurs de Newton qui vont remarquer à quel point le système est parfait et qu'il ne nécessite en fait aucune aide extérieure. C'est ainsi que peu à peu, la place de Dieu dans l'organisation de l'univers diminuera jusqu'à atteindre la situation actuelle où l'on ne sait plus vraiment où placer la divinité, tellement la mécanique céleste apparaît parfaite et bien huilée.

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