Chapitre 9 - La Voie lactée est notre banlieue (William Herschel)

Nous allons maintenant nous tourner vers un autre savant qui, un siècle après Isaac Newton, modifiera lui aussi considérablement la représentation de l'univers. Ce grand homme s'appelle Friedrich Wilhelm Herschel, il naît à Hanovre en Allemagne le 15 novembre 1738. Il est le troisième des six enfants d'un père engagé dans la fanfare de l'armée allemande, passionné de musique et d'astronomie. C'est donc tout naturellement que le jeune William apprend à jouer du hautbois et s'engage dans la fanfare militaire de son père. Il trouve quand même le temps de faire des études de mathématiques et de philosophie.

En 1756, la fanfare militaire fait une tournée de six mois en Grande-Bretagne et William a la chance de pouvoir y participer. Il apprendra la langue et attrapera la fascination de ce pays. Deux ans plus tard, l'Allemagne est en guerre et Herschel trouve qu'il n'a plus sa place dans l'armée. C'est vrai qu'en temps de guerre, les musiciens ne sont pas d'une grande utilité. Il décide donc de déserter et de se réfugier en Grande-Bretagne. Dans un premier temps, il gagne sa vie en copiant des partitions de musique. Mais comme il est doué, il ne tarde pas à enseigner la musique, composer et même donner des concerts. En 1767, on lui accorde le poste d'organiste à Bath où il s'établit pour un certain temps. En 1772, sa soeur Caroline le rejoint de l'autre côté de la manche.

En 1773, il lit un livre de vulgarisation d'astronomie. C'est à ce moment qu'il découvre sa véritable vocation: le ciel. Il commence par s'acheter un petit télescope mais il est vite déçu: il ne permet pas d'observer grand chose. Herschel veut alors en acheter un plus grand mais il s'aperçoit que les grands télescopes coûtent beaucoup plus cher que ce que sa maigre fortune n'autorise. Qu'à cela ne tienne, il décide de fabriquer lui-même son télescope. Il achète des instruments de polissage d'occasion, apprend à s'en servir et se met à la tâche. A force de persévérance, il obtiendra des instruments de plus en plus fiables et de plus en plus grands: en particulier un télescope de 48 cm de diamètre et de 6 m de distance focale.

En 1779, alors qu'il observait la Lune avec l'un de ses télescopes, un inconnu lui demande la permission d'observer à son tour. Les deux hommes font connaissance et l'inconnu se présente: William Watson, membre de la Royal Society. Il promet à Herschel de l'introduire dans la société savante anglaise. Herschel pense qu'il est tard de commencer une carrière scientifique à 40 ans mais accepte. De 1779 à 1780, Herschel observe les montagnes lunaires et calcul leur altitude. Avec l'aide de son ami Watson, il obtient la publication de ses résultats.

Se désintéressant de la Lune, Herschel se passionne pour un autre sujet d'actualité: les étoiles doubles. C'est en scrutant le ciel à la recherche de ces corps célestes qu'il fait la découverte qui le rendra célèbre. Le 13 mars 1781, il découvre une tache lumineuse qui ne correspond à aucune étoile connue. En l'observant à nouveau, il constate qu'elle se déplace de jour en jour. Pensant qu'il s'agit d'une comète, il communique sa découverte à la Royal Society. D'autres astronomes se penchent sur la question et quelques mois plus tard, lorsqu'ils ont pu calculer l'orbite de l'objet avec suffisamment de précision, les scientifiques se rendent à l'évidence: il s'agit d'une nouvelle planète, celle que nous connaissons aujourd'hui sous le nom d'Uranus. A partir de ce moment, tout s'enchaîne très vite. En novembre de la même année, Herschel est convié à Londres et reçoit la médaille Copley des mains de Sir Joseph Banks, le président de la Royal Society. En décembre, Herschel est lui-même élu membre de cette société. En 1782, il est nommé "astronome du roi". Sa fonction est d'expliquer le ciel au roi et à sa famille. En échange, il reçoit une pension annuelle de 200 livres.

Dès 1782, William Herschel n'arrêtera plus de publier de nouvelles découvertes. Comme nous l'avons déjà vu, il s'intéresse aux étoiles doubles. D'une part, il s'acharne à les dénombrer et les recenser. Il publiera d'ailleurs plusieurs catalogues contenant des milliers d'étoiles doubles. D'autre part, il ne se contente pas de les cataloguer, il les étudie longuement et fait plusieurs découvertes. Il observe qu'un couple d'étoiles n'est pas fixe, mais que les deux étoiles se déplacent. Il a la géniale intuition d'appliquer la loi de Newton de la gravité universelle aux étoiles doubles et découvre qu'elles tournent autour de leur centre de masse commun. Cette dernière découverte en entraîne tout de suite une autre. Jusqu'à Herschel, les astronomes pensaient que la magnitude absolue de toutes les étoiles était la même. Ils pensaient que les différentes magnitudes apparentes étaient dues à la distance des étoiles. Comme Herschel démontre que les étoiles doubles tournent autour de leur centre de masse commun, il démontre aussi qu'elles sont pratiquement à la même distance. Or la plupart des couples d'étoiles sont assez disproportionnés: l'une des étoiles étant souvent plus grande que sa compagne. Herschel en déduit que la magnitude absolue des deux étoiles est différente.

Une autre croyance millénaire est aussi infirmée à l'époque d'Herschel. C'est Edmund Halley qui allume la mèche lorsqu'il affirme que les trois étoiles connues Aldébaran, Sirius et Arcturus ne sont plus exactement au même endroit que les avait notées Ptolémée dans son Almageste. Herschel reprend ces observations et découvre que 40 autres étoiles ont elles aussi changé de position. Connaissant maintenant le personnage, vous vous imaginez bien qu'il ne se contente pas de ce résultat. Comme d'habitude, il essaie de comprendre le phénomène et voit deux raisons à ce déplacement. Premièrement, les étoiles peuvent effectivement avoir bougé et deuxièmement, le Soleil et tout son cortège de planètes peuvent eux aussi s'être déplacé. Herschel commence de longs et fastidieux calculs pour savoir dans quel sens se déplace notre système solaire. Il parvient au résultat que le Soleil se déplace en direction d'un point dans la constellation d'Hercule, à la vitesse de 14 kilomètres par seconde. Compte tenu des instruments de l'époque, ce calcul est remarquable puisque effectivement le Soleil se déplace dans cette direction à la vitesse de 20 kilomètres par seconde.

Les lecteurs attentifs auront remarqué que j'ai sauté une étape importante. En effet, nous avons quitté Newton en 1727 en affirmant qu'il a définitivement placé la Terre parmi les autres planètes, que la Terre n'est plus un lieu à part dans l'univers. Et nous venons de parler d'Herschel qui pense que le Soleil tout comme les autres étoiles bouge. En effet, bien qu'on ne sache pas exactement depuis quand, il est couramment admis au XVIIIème siècle que notre Soleil n'est qu'une étoile parmi d'autres. Cette idée s'est gentiment imposée en même temps que les astronomes ont commencé à estimer la distance qui nous sépare des étoiles. Celle-ci étant déjà à l'époque évaluée en années-lumière, il devenait de plus en plus inconcevable que les étoiles réfléchissent la lumière du Soleil comme le font les planètes et les comètes. Les savants ont donc peu à peu admis que les étoiles émettent leur propre lumière, tout comme le fait le Soleil. Comme nous l'avons vu au chapitre 4, Giordano Bruno en était déjà convaincu au XVIème siècle, mais l'Eglise n'a pas du tout apprécié cette théorie.

Une autre découverte importante a eu lieu à la fin du XVIIème siècle: la détermination des distances dans le système solaire. En effet, depuis Kepler, il était possible de calculer les distances relatives des planètes au Soleil, mais il manquait toujours les distances absolues. Aujourd'hui, on mesurerait la parallaxe du Soleil et l'affaire serait réglée. Mais au XVIIème siècle, les instruments ne permettaient pas encore de mesurer de si petits angles. Les astronomes ont donc procédé autrement. En 1672, ils ont profité du moment où la planète Mars s'est rapprochée au plus près de la Terre pour mesurer sa parallaxe, ce qui était tout juste à la portée de leurs instruments. Ils ont ainsi déterminé la distance Terre-Mars et à l'aide des lois de Kepler, toutes les autres distances du système solaire. Ils ont donc calculé que le Soleil se trouve à 138 millions de kilomètres de la Terre. Le résultat est remarquable quand on sait que la distance au Soleil est en fait de 149,6 millions de kilomètres.

Après ce petit retour en arrière, revenons à William Herschel. Comme la pension qu'il reçoit du roi ne parvient pas à couvrir ses dépenses, il décide de compléter son revenu en fabriquant et vendant des télescopes. Sa réputation ne tardera pas à dépasser les frontières du royaume. Certains de ses clients sont même très célèbres, tels que le roi d'Espagne, l'empereur d'Autriche et l'impératrice de Russie.

En 1788, il règle définitivement ses problèmes d'argent en épousant Mary Pitt, une jeune veuve et surtout une riche héritière. De ce mariage naîtra en 1792 le petit John Frederik. Celui-ci sera lui aussi un grand astronome, reprenant les nombreuses observations de son père.

En 1789, William Herschel termine son plus grand télescope qu'il garde d'ailleurs pour lui. Il a un diamètre de 1,20 m et une distance focale de 12 mètres. Dès son achèvement, il le braque dans toutes les directions du ciel. En observant Jupiter, il découvre une sixième lune, Encelade, et quelques jours plus tard une septième: Mimas. Il a d'ailleurs déjà découvert deux lunes d'Uranus deux ans plus tôt, avec un plus petit télescope.

Décidément, William Herschel n'a peur de rien. Voilà qu'il décide tout simplement de compter les étoiles de la Voie lactée. Il procède par sondage, dénombrant soigneusement les étoiles d'une zone précise du ciel et en extrapolant par la suite. Afin d'augmenter la précision de son estimation, il procède à plus de 3000 opérations de comptage durant sa carrière. Il acquiert ainsi une grande connaissance de la forme et des dimensions de la Voie lactée. Selon lui, elle a la forme d'un disque de 20'000 années-lumière de diamètre et 4000 années-lumière d'épaisseur. Nous savons aujourd'hui que ces dimensions sont en réalité cinq fois plus grandes, mais il fallait déjà oser à l'époque avec le peu de connaissances sur les distances avancer de tels nombres gigantesques. De plus, Herschel se risquera même d'indiquer notre position dans la galaxie, non loin de l'un des bras de celle-ci.

Une autre grand domaine d'investigation d'Herschel est l'étude des nébuleuses. Il appelle ainsi tous les objets du ciel qui ne sont ni des étoiles, ni des planètes, ni des comètes. Ces objets ressemblent à des taches de lumière de faible intensité et d'apparence nébuleuse, d'où leur nom. Herschel commence par se baser sur le catalogue établi par Charles Messier. Mais il va beaucoup plus loin et en vingt ans d'observations, il porte le nombre de nébuleuses de 100 à 2500. En les observant minutieusement avec ses grands télescopes, William Herschel constate que la plupart de ces objets d'apparence nébuleuse se composent en réalité d'étoiles.

Connaissant maintenant le caractère d'Herschel vous vous doutez bien que le "plupart" l'ennuie au plus haut point. Il propose deux explications qui sont l'une aussi intéressante que l'autre. Premièrement, il affirme que les nébuleuses sont des corps en évolution. Au début, ce ne sont que des nuages de gaz diffus et peu à peu, les étoiles se forment. Les nébuleuses qu'il ne parvient pas à résoudre en étoiles sont donc les plus jeunes. Cette explication n'est aujourd'hui plus vraiment acceptée mais l'idée qu'il puisse y avoir une évolution dans le ciel est fascinante et va être reprise avec plus de succès dans les siècles suivants. L'autre explication avancée par Herschel est qu'il pourrait s'agir de corps extrêmement lointains qui seraient bien en dehors de notre galaxie. Il les appelle des "univers-île". Cette affirmation sera longuement discutée, comme nous allons le voir au chapitre suivant.

Avec cet infatigable savant qu'est William Herschel, l'humanité est entrée par la grande porte dans la cosmologie moderne. Alors qu'à sa naissance, il était tout juste admis que le Soleil est une étoile parmi toutes les autres, il a fait de toute notre galaxie une proche banlieue, affirmant qu'il pourrait y avoir d'autres galaxies à des distances inimaginables. Il est aussi le premier à avoir pensé que les corps célestes puissent évoluer. L'idée ne s'est pas imposée tout de suite, mais elle est devenue un des fondements de notre cosmologie du XXIème siècle. Ironie du destin, cet homme qui a tant découvert, qui a dépassé de beaucoup les connaissances de son époque, a cru jusqu'à sa mort le 25 août 1822 qu'il puisse y avoir des êtres vivants sur la Lune et que l'intérieur des étoiles soit froid et qu'il puisse donc y avoir des habitants. Comme pour Newton, on pourrait être tenté de passer sous silence ces détails, mais ils sont ô combien révélateurs d'un phénomène universel: l'Histoire a une mémoire sélective et ne retient que ce qui est considéré comme juste à l'époque contemporaine.

On a souvent dit que le XIXème siècle est celui des grandes découvertes scientifiques. C'est vrai pour de nombreux domaines, mais pas pour l'astronomie. Newton et Herschel ayant tellement découvert que pendant le reste du XIXème siècle, les scientifiques n'ont pu qu'améliorer leurs instruments de mesure. La conception de l'univers telle que l'a laissée Herschel à sa mort perdurera d'ailleurs jusqu'à l'aube du XXème siècle, époque où d'autres génies vont se mettre à cette tâche.

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