Chapitre 10 - La fuite des galaxies (Edwin Hubble)

Edwin Powell Hubble fait certainement partie de ces génies de la science qui ont révolutionné le XXème siècle. Il naît le 20 novembre 1889 à Marshfield, dans l'état du Missouri au centre des Etats-Unis. Il grandit dans une famille de sept enfants dont le père travaille en tant qu'avocat pour une assurance. Il se révèle un garçon brillant, vite passionné pour la lecture, les romans de Jules Verne en particulier. Quand il a neuf ans, la famille déménage à Chicago où Edwin fera son école secondaire. Il s'y fait remarquer à la fois pas ses capacités scolaires et sportives. En 1906, son certificat de fin d'étude secondaire en poche, il cherche comme la plupart des futurs étudiants américains à gagner un peu d'argent. Il parvient à se faire embaucher comme assistant de laboratoire du professeur Robert Millikan. Son goût pour les sciences est donc déjà très prononcé. D'ailleurs, il entre à l'université de Chicago et obtient une licence en mathématiques et en astronomie en 1910.

Ayant bien réussi ses études et étant toujours aussi doué en sport, il reçoit la « Rodes scholarship », la bourse la plus convoitée, pour poursuivre ses études à Oxford en Grande-Bretagne. Sous l'influence de son père, il choisit la filière juridique. Après trois ans d'études, il retourne aux États-Unis et passe les examens d'Etat au Kentucky où vit dorénavant sa famille. L'expérience ne sera pas concluante. Hubble, qui n'a jamais été passionné pas le droit, quitte son métier après un an et reprend des études d'astronomie.

Il faut croire qu'il se montre extrêmement doué car en 1917, avant même qu'il n'ait terminé sa thèse sur les nébuleuses, il est contacté par le célèbre George Ellery Hale, l'homme qui venait d'inaugurer le télescope le plus puissant du monde. Il s'agit du réflecteur Hooker de 2,50 m de diamètre installé au Mont-Wilson. Mais nous sommes en avril 1917, la première guerre mondiale fait rage en Europe et les Etats-Unis viennent de déclarer la guerre à l'Allemagne. Hubble ayant longtemps combattu l'isolationnisme, il est dans les premiers à se décider pour partir au front. Quelques semaines plus tard, il est capitaine d'un régiment se battant en France. Il sera blessé en 1918 et retournera aux États-Unis l'année suivante. Il faut être conscient que le télescope de 2,50 m du Mont-Wilson est l'instrument le plus performant sur lequel les astronomes puissent rêver de travailler pour mesurer le sacrifice que fait Edwin Hubble en s'engageant pour le front.

Heureusement pour lui, Halley lui a gardé une place dans l'équipe du télescope Hooker. Dès son retour, Hubble se met au travail et débute des observations de nébuleuses, en particulier de nébuleuses spirales. La grande question à ce moment est celle des "univers-îles". Certains scientifiques pensent que tous les objets cosmiques se trouvent dans notre galaxie alors que d'autres pensent que certains corps célestes pourraient se trouver loin au-delà des limites de la Voie lactée. Ces limites viennent d'ailleurs d'être mesurées avec une assez bonne précision par Harlow Shapley, un sérieux adversaire de Hubble. Celui-ci a utilisé la technique des céphéides variables pour déterminer que notre galaxie a un diamètre de 300'000 années-lumière. Les céphéides variables sont des étoiles qui ont une propriété intéressante: leur luminosité change en fonction d'un cycle régulier. De plus, des astronomes ont pu montrer qu'il existe une relation entre la période de pulsation lumineuse et la magnitude absolue de l'étoile. Connaissant cette magnitude, on peut la comparer à la magnitude apparente pour déterminer l'éloignement de l'étoile. Les astronomes ont donc enfin un outil performant pour mesurer des grandes distances dans l'univers.

On peut donc comprendre l'enthousiasme que déclenche la simple phrase d'Edwin Hubble en février 1924: « J'ai trouvé une céphéide dans [la nébuleuse d'] Andromède. » (L'Homme et le cosmos, p. 165) En effet, on pourra enfin trancher la question des "univers-îles". Et le verdict est sans appel: avec un éloignement de 900'000 années-lumière, la nébuleuse d'Andromède est loin en dehors de la Voie lactée, c'est une galaxie à part entière. On peut difficilement imaginer ce que les savants ont pu ressentir à l'époque. Les frontières de l'univers sont désormais repoussées à une distance inimaginable, surtout depuis le moment où Hubble annonce que la galaxie d'Andromède n'est pas une exception, que beaucoup d'autres nébuleuses spirales sont en fait des galaxies très éloignées de la Terre.

Hubble est bien sûr conscient de l'importance de sa découverte, mais ce n'est pas pour autant qu'il en oublie sa vie terrestre. Une semaine plus tard, il se marie avec Grace Burke, Elle lui restera fidèle jusqu'à sa mort mais ils n'auront jamais d'enfants.

Avant de parler de la prochaine découverte de Hubble, je vais devoir introduire un autre sujet: la spectroscopie. Cette science aujourd'hui incontournable est en quelque sorte fondée par l'Allemand Joseph von Fraunhofer en 1815. Le principe est relativement simple: lorsque la lumière passe à travers un prisme, elle se décompose dans toutes les couleurs de l'arc-en-ciel. Fraunhofer a simplement l'idée d'examiner de plus près cette décomposition et de la comparer celle de la lumière des étoiles. Il découvre que ces décompositions ne sont pas continues, qu'elles contiennent des raies noires et que ces raies sont différentes pour chaque source lumineuse. Plus tard, on découvrira que ces raies dépendent de la composition chimique des étoiles et on appellera spectre d'une étoile la décomposition de sa lumière. Les astronomes ont donc maintenant un outil fabuleux pour examiner la composition, la température et même la densité des étoiles. Mais le phénomène le plus étrange et le plus utile n'est pas encore découvert. On remarquera en effet que les raies d'un même élément chimique ne sont pas toujours au même endroit. En réalité, c'est même tout le spectre qui est légèrement décalé soit vers le rouge, soit vers le violet. Les astronomes affirment que la cause de ce phénomène est l'effet Doppler-Fizeau découvert par Christian Doppler en 1841. Bien que son nom soit abstrait, tout le monde connaît cet effet. Le son d'une ambulance n'est pas perçu de la même manière suivant qu'elle se rapproche ou qu'elle s'éloigne, alors que la sirène émet exactement le même son. C'est dû au fait que la source sonore se déplace par rapport à l'observateur. Hippolyte Fizeau étendra plus tard ce principe à l'optique en démontrant que la longueur d'onde se déplace vers le violet si la source se rapproche et vers le rouge si elle s'éloigne de l'observateur. Les scientifiques peuvent donc calculer la vitesse radiale d'une étoile en fonction du décalage de son spectre. C'est ce que Vesto Melvin Slipher fera avec succès à l'observatoire Lowell à partir de 1912.

Revenons maintenant à Edwin Hubble. Depuis la mesure de la distance d'Andromède, il n'a pas chômé. Il a par exemple établi une méthode de classification des galaxies selon leur forme soit elliptique, soit spirale, soit irrégulière. Cette classification est d'ailleurs aujourd'hui encore en vigueur. Mais Hubble s'intéresse maintenant à nouveau à la mesure des distances. Il détermine celles de plusieurs galaxies à l'aide de la technique des céphéides variables. Mais la méthode a ses limites: il faut en effet pouvoir distinguer ces étoiles particulières. Hubble emploie alors une méthode qui semble éloignée de la science précise qu'est l'astronomie. Et pourtant... Il remarque que les étoiles les plus brillantes des galaxies dont il a déjà mesuré la distance ne dépassent pas une magnitude absolue de -6,3. En considérant que ceci est vrai dans toutes les galaxies, il parvient à mesurer leur distance à la seule condition de distinguer des étoiles individuelles, et plus forcément des céphéides. Hubble est conscient que cette méthode peut donner des résultats erronés, mais faisant confiance à l'uniformité de l'univers, il considère que la technique est applicable si on prend un grand nombre de galaxies. Pour pouvoir mesurer la distance de galaxies à l'intérieure desquels il ne parvient même plus à voir une étoile individuelle, il pousse son raisonnement encore plus loin. Il constate que toutes les galaxies dont il a mesuré la distance ont à peu près la même magnitude absolue en moyenne, soit environ -15,2. Partant du principe que cela est vrai pour toutes les galaxies, il parvient à obtenir la distance de galaxies extrêmement éloignées. C'est maintenant qu'il fait une découverte capitale: en comparant les distances des galaxies qu'il a étudiées et leur vitesse mesurée par Vesto Melvin Slipher, il constate que les deux sont proportionnelles. Nous sommes en janvier 1929 et Edwin Hubble écrit dans son article à la National Academy of Sciences: « Les résultats établissent une relation approximativement linéaire entre vitesse et distance des nébuleuses. » (L'Homme et le cosmos, p. 199) Il vient d'énoncer ce qui est au XXIème encore connu sous la dénomination de loi de Hubble. Dans les années 1930, il continue de mesurer des distances et finit par atteindre les limites du télescope de 2,50 m du Mont-Wilson avec des galaxies distantes de 250 millions d'années-lumière.

Expansion de l'univers La principale conséquence de la loi de Hubble est l'expansion de l'univers. En effet, vu que toutes les galaxies s'éloignent à des vitesses proportionnelles à leur distance, cela signifie que l'espace grandit. Il ne faut surtout pas croire que notre galaxie est le centre de l'univers puisque toutes les autres s'en éloignent. En fait, toutes les galaxies s'éloignent globalement de toutes les autres galaxies. Pour illustrer ceci, on peut s'imaginer des points sur un ballon qu'on est en train de gonfler. Aucun d'eux n'est au centre du ballon, pourtant chaque point s'éloigne de plus en plus de chacun de ses voisins. Cette vision conduira quelques années plus tard à la théorie du big-bang, encore valable aujourd'hui.

La seconde guerre mondiale va comme la première interrompre les travaux de Hubble. Il se porte volontaire pour un engagement dans l'infanterie mais le haut commandement le trouve plus utile dans un laboratoire de recherche scientifique. On le nomme responsable d'un laboratoire de balistique. Hubble ignore tout de cette discipline et après la lecture d'un article sur le sujet dans l'encyclopédie, il se demande si c'est une science sous-développée ou ultra secrète. Une fois sur place, il constate que la balistique est à la fois sous-développée et ultra secrète. Mais quand on a du génie comme Hubble, on peut l'utiliser dans tous les domaines. Il perfectionne donc différents instruments, monte une soufflerie supersonique et invente des méthodes de photographie de trajectoires. Il rend de si grands services à la nation qu'il est décoré de la médaille du Mérite en 1946.

Après la guerre, Edwin Hubble jouera un rôle déterminant dans la construction du télescope Hale de 5 mètres de diamètre au Mont-Palomar. Lorsqu'un journaliste lui demande en 1948 ce qu'il compte observer avec de tel monstre, il répond: « j'espère trouver quelque chose que nous n'attendions pas. » Le savant confirmera entre autre que sa loi est valable dans tout l'univers, en tout cas dans tout le champ de vision phénoménal du nouveau télescope. Edwin Hubble est mort le 28 septembre 1953 d'une thrombose cérébrale alors qu'il préparait une série d'observations sur le télescope du Mont-Palomar.

Cet homme a repoussé les limites de l'univers plus loin que personne ne l'a fait avant lui. D'ailleurs, depuis ses découvertes, on ne sait même plus si l'univers a des limites. La Terre est définitivement devenue un petit caillou insignifiant dans l'immensité du cosmos. De plus, il laisse derrière lui pour la première fois un univers en évolution qui n'est pas figé dans le temps, un univers qui a un passé qui reste à découvrir et un avenir à imaginer. Malgré tout cela, Hubble n'a jamais reçu le prix Nobel car il n'y a pas de catégorie pour l'astronomie. Cet homme qui a tant trouvé a tout de même fait une erreur: il croyait que les galaxies étaient réparties uniformément dans l'univers. C'est Clyde Tombaugh qui lui prouva le contraire en 1937 en découvrant que les galaxies sont organisées en amas.

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